Je me pose la question encore aujourd’hui, pourquoi avoir choisi ce rapace ? Peut-être pour la couleur de l’espèce, va savoir ! Il n’est pas facile à trouver vu sa taille et il n'est visible qu'en migration. Rarement nombreux, je peux les compter sur les doigts de mes deux mains quand tout va bien. Le plus déterminant est le temps, souvent trop court et parfois mauvais, il ne faut pas se louper.
La difficulté de les photographier m’a tout simplement dirigé vers ce choix, vers cet oiseau magnifique, le mâle comme la femelle sans oublier les immatures.
Le faucon kobez (Falco vespertinus) appartient à la famille des falconidés. Pour ceux qui connaissent le faucon crécerelle, présent chez nous toute l’année, le Kobez est de plus petite taille mais reconnaissable par une tenue vestimentaire différente. Le mâle a un plumage remarquable, surtout quand nous l’observons pendant la période migratoire pré-nuptiale, une période trop courte à mon goût. Il peut être observé plus longtemps si la météo ne lui est pas favorable et l'empêche de poursuivre sa migration. La description de ce rapace dans les guides naturalistes évoque une silhouette mince, des ailes larges à la base, pas très pointues (proche du faucon hobereau) et une longue queue (comme le faucon crécerelle).
Le mâle adulte est assez facile à identifier, on ne peut pas se tromper, un joli gris ardoisé sur tout le corps, plus foncé sur le dessus et un roux rouille sur le bas-ventre comme pour les ʺculottesʺ, plumes qui recouvrent la base des pattes. Celles-ci sont constituées de la cuisse, de la jambe et du pied. Elles renseignent généralement sur la nature de l'habitat et du mode de locomotion de l'oiseau.
À l’aide des jumelles, nous pouvons observer un gris bleu au niveau de la pointe du bec, le reste étant orange. La couleur du cercle orbital est orange-rouge, l'iris étant brun foncé. Les rémiges (les grandes plumes des ailes) sont grises argentées. Nous retrouvons la même couleur pour les pattes : un orange-rouge.
Quant à la femelle adulte, le dessus est gris ardoisé barré de noir, mais plus pâle du dos aux sus-caudales (plumes qui se situent sur le croupion et qui recouvrent la portion basale supérieure de la queue). En regardant au plus près la tête, nous voyons du noir autour de l’oeil, il en est de même au niveau de la zone comprise entre la partie antérieure de l'oeil et la base du bec. Le front est de couleur beige clair, le dessus de la tête est un roux pâle comme pour le cou. Nous voyons des moustaches brunes rousses (base de la mandibule inférieure vers le bas sur les côtés de la gorge). Les côtés de la tête et la gorge sont roussâtres. Le bec est gris bleu à base jaune. Les rémiges sont noirâtres, barrées de gris et de roux. N’oublions pas les pattes de couleur orangée.
Le juvénile, visible en automne, a le dessus gris-brun et le dessous chamois terne rayé de foncé. Ses moustaches sont plus courtes et les pattes jaunes. Le mâle immature visible à cette période de l’année a de nombreux traits de l’adulte, mais le dessous du corps est en partie roux et le dessus gris-bleu uniforme. Le dessous des ailes est, comme chez le juvénile, toujours barré de noir, sans oublier les pattes orangées.
Pour effectuer la photographie, c’est une autre histoire. Comme à mon habitude, j’effectue un bon travail préparatoire, l’observation est primordiale sans oublier la documentation. C’est en consultant les sites Internet des observations des oiseaux sur France comme sur Suisse que l’idée me vint d’aller sur la plaine de Passy au printemps (en mai plus exactement) pour voir le Kobez. 2016 est la cinquième année de déplacement sur Passy.
La première fois, fin mai 2012, la prospection n’a pas été de tout repos. Il m’en a fallu de la patience, c’est un environnement inconnu. En tout cas c’est une belle découverte, un milieu très intéressant, autant pour la faune que pour les espèces végétales. Ce jour-là, on annonce du beau temps, je décide de partir de bonne heure le matin.
Sur place, j'ai passé pas mal de temps à rechercher le Kobez. Par chance, un habitant m'oriente dans la bonne direction, et je me retrouve sur un chemin de terre. Je poursuis à pied en direction d’un arbre mort entouré de champs sur lequel je vis mes trois premiers Kobez. Voilà une belle surprise, c’est une première observation ou ʺcocheʺ comme disent les ornithologues. Bien content de les avoir trouvés, ce n’était pas facile. À la recherche d’un dévers pour être moins visible, je m’installe en bordure de champ. Assis sur un siège pliant sous un filet de camouflage, je les contemple à l’aide d’une paire de jumelles et les fixe dans l’appareil photo.
Ils ne volent pas tous en même temps. Lentement, deux d’entre eux quittent le perchoir en descendant, reprennent de la hauteur avec des coups d’ailes souples. Ils forment de larges boucles au-dessus des prés et d’un champ de luzerne. Un champ, tout juste fauché, est l’endroit idéal pour se poser au sol afin d’attraper des insectes.
Ni une, ni deux, les voilà qui retournent se percher dans l’arbre tout en dégustant leurs proies. Le Kobez ne vole pas très haut, il décrit de longues planées descendantes et de larges courbes. Dans son vol, il inclut des variantes, pirouettes, des chutes vers le sol. En regardant bien, les Kobez ne sont pas installés très haut dans l’arbre. Deux mâles, dont un immature et une femelle adulte, sont devant moi ce jour-là. Je reste plus d’une heure à les observer et effectue mes premières images.
Ce faucon s’arrête plusieurs jours sur la plaine de Passy, au moment de la migration (en mai et juin). Il a un long voyage. Il niche en colonie dans l’Est de l’Europe, les plaines du Danube, la Roumanie, il va jusqu’en Russie et hiverne en Afrique. Il a besoin de repos et de faire le plein d’énergie avant de repartir. Sociable, il ne voyage jamais seul, j’ai eu l’occasion d’en compter jusqu’à neuf individus et de le voir accompagné du faucon crécerelle. Insectivore, son terrain de chasse est tout trouvé dans cet espace herbacé peu élevé et découvert. Une biodiversité adaptée pour une alimentation spécifique. Sa préférence va aux orthoptères (grillons, criquets, sauterelles), mais j’ai eu l’occasion de le voir attraper également des coléoptères.
Pour obtenir de belles images il a fallu réunir deux paramètres. Choisir une mauvaise météo et un jour de la semaine. Éviter le week-end, c’est moins de monde et avec du bon matériel photographique le mauvais temps n’est pas un obstacle. Diminuer le dérangement est important à mes yeux, je me sens plus à l’aise. Il reste à choisir le type d’affût, la voiture ou la tente. Il m’arrive parfois de demander au propriétaire si je peux m’installer, surtout quand je reste plusieurs heures. Je me sers uniquement du filet de camouflage, c’est largement suffisant. Installer l’appareil de manière à ne pas être visible derrière le filet. J’utilise un filet avec une ouverture pour laisser passer le téléobjectif.
Le Kobez est plus facile à observer quand il y a beaucoup de vent, car il a tendance à rester sur un perchoir assez bas, comme un piquet de clôture. Mon champ de vision est horizontal ou presque, c’est l’idéal pour shooter.
La photographie prend une autre dimension, l’harmonie entre l’oiseau et son milieu prend toute sa valeur. Tous les feux sont au vert. Ce jour-là, la météo m’est favorable (ciel gris et vent).
Je dénombre cinq individus : des mâles, des femelles et des immatures. Après quelques heures de recherche pour trouver le bon emplacement depuis la voiture, j’observe le Kobez en chasse avec parfois des insectes dans son bec. À ce moment là, le vent est presque nul, c’est la fin de matinée.
Le Kobez utilise la tactique de l’affût immobile. Il s’installe sur un fil de clôture au bord de la route ou traversant un champ, sur le sommet d’un poteau ou sur une branche d’un arbre isolé. Il faut de la patience surtout quand il se repose durant des heures sans bouger. De temps en temps, il décide de quitter son poste pour chasser. J’ai eu la chance de le voir effectuer la manœuvre du ʺSaint-espritʺ à côté de moi avant de plonger sur sa proie.
Discret et peu farouche, c’est un oiseau surprenant. Autant il garde ses distances quand il reste perché, comme il peut passer très près s’il ne se sent pas en danger. Pour la photo, il vaut mieux avoir une longueur d’avance et anticiper. Tout se passe très vite.
Enfin, le vent se lève et le ciel s’éclaircit. Je change de place et m’installe pour un long moment près d’une clôture. Même technique et un peu de patience, les voilà qui arrivent, mais ils sont trop loin. Cinq Kobez sont sur le fil ou sur le piquet de la clôture. Ils se rapprochent lentement et, par moments, ils s’envolent pour se poser sur l’herbe à la recherche d’insectes.
Doucement, ils voltigent en se déplaçant sur la clôture, gênés par le vent. Parfois, le mâle adulte se rapproche en jetant un regard dans ma direction. Les autres le suivent, mais tous restent sur leur garde. Un moment unique : l'observation avec les jumelles d'un mâle très proche.
Le détail de l’oiseau reste gravé dans la mémoire. C’est magnifique, surtout la couleur de la base du bec sans oublier le cercle orbital d’un orange-rouge. L’idée d’une photo panoramique est envisageable. C’est plus de quatre heures d’affût à attendre que les rapaces s'alignent sur le fil, puis se rapprochent. Me voilà récompensé ; il est plus de 18:00.
La fatigue s’installe, il est temps de rentrer. En tout cas la matière est là, il me reste à classer, trier les images et vérifier mes notes.