Attiré par l’eau dès mon plus jeune âge et bon nageur, j’ai besoin d’être au contact de l’eau pour me sentir bien. Je parcours le littoral du Léman et observe les oiseaux au cours de l’année et par tous les temps, avec des lieux de prédilection comme le Domaine de Rovorée situé sur deux communes (Yvoire et Excenevex) et le golfe de Coudrée (Sciez).
L’ouverture des vannes du barrage du Seujet à Genève, dès la fin de l'année, abaisse progressivement le niveau du Léman de près de 70 cm. Le niveau du lac va remonter grâce aux crues des affluents (le Rhône et la Dranse principalement) pour atteindre sa côte normale à la fin du printemps. La baisse annuelle des eaux permet de découvrir de grandes étendues du littoral lémanique, en particulier dans les zones à faible pente comme les plages d’Excenevex et de Coudrée (Sciez). C’est un spectacle magique, l’impression de se trouver dans un autre monde, la petite "Camargue" avec comme décor des îlots de sable qui permettent aux oiseaux de se poser le temps de la migration. Leurs objectifs : prendre du repos et se restaurer pour prendre des forces, avant de repartir en direction du nord, où ils iront nicher dans les contrées des grandes étendues de la toundra.
Le 21 et 22 mai 2013, j’ai eu la chance d’observer aux jumelles des oiseaux migrateurs sur les bancs de sable émergeants : des bécasseaux sanderling.
Le bécasseau sanderling (Calidris alba) est un limicole de très petite taille (longueur : 20-21 cm, envergure : 35-39 cm, poids de 33-85 grammes) de la famille des scolopacidés. Il se reproduit dans le haut-Arctique, dans les zones du Nord de l’Europe. C’est un grand migrateur, il voyage vers le sud pour hiverner ; parfois il s’arrête au sud de l’Europe et il peut aller jusqu’en Afrique. Au bord du lac, il recherche des mollusques, crustacés, vers, insectes. Il consomme occasionnellement des poissons, avec un penchant pour les yeux, une friandise inhabituelle : c’est un fin gourmet. Sa technique lui est propre : il donne des coups de bec rapides de façon répétée dans le sable. Il suit les mouvements des vagues en marchant ou en courant sur la plage et sur les îlots. L’adulte en plumage nuptial est roux tacheté de noir et de blanc sur le dessus et sur la poitrine, le dessous est blanc. Le juvénile est brun-noir tacheté de grisbeige sur le dessus avec des taches noires à l'épaule ; le dessous est blanc. Il a un bec noir, court et droit.
Le 21 mai 2013, arrivé en fin d’aprèsmidi, j’effectue avec les jumelles un balayage rapide sur les îlots depuis la plage et voilà les bécasseaux sur les bancs de sable, superbe ! La technique d’approche est très lente, avec des temps de pause de cinq à dix minutes avant de m’avancer vers eux. Equipé de cuissardes et des jumelles, j’ai pu les voir se battre entre eux et vite repérer le dominant puisqu’ils s’affairaient autour d’une nature morte : une carpe échouée sur un banc de sable. Les trois individus étaient trop préoccupés à se nourrir, se délecter d’un mets de choix, pour prendre garde à ma présence.
Respecter le temps, c’est éviter de les faire partir. En cette fin de journée, me retrouver seul avec eux est un régal. L’expérience et la connaissance des espèces me permettent de "maîtriser" ces moments-là. Le facteur chance, le respect de l’animal, sont ce qu’il y a de plus important. Garder la distance c’est l’espace fuite qui est préservé. N’oublions pas que le matériel utilisé est un plus pour obtenir de la belle image. Le bonheur de me retrouver devant une scène aussi peu ordinaire m’a enchanté, c’est peu commun surtout ici au bord du Léman.
J’ai dû passer plus d’une bonne heure à les voir se jeter avec délectation sur ce plat offert par la nature. S’attaquer aux yeux puis à la tête, chacun son tour. Il n’y avait pas assez de place pour tous les trois en même temps. Parfois une vague arrive et les trois compères lèvent les ailes pour éviter de trop se mouiller. Toujours en mouvement, ils tournent, se déplacent sur la carpe puis s’envolent de quelques mètres pour marcher sur le banc de sable. Ils attendent que la vague passe et reviennent sur le plat de résistance. Il commence à se faire tard, la lumière est de moins bonne qualité, mais l’ambiance est là, le soleil passe derrière le Jura. Il est temps de rentrer et de laisser nos trois bécasseaux à leur pitance.
Je les quitte en reculant doucement sur plusieurs mètres, avec tout mon barda. Arrivé sur la plage, je jette un dernier coup d’oeil avec les jumelles, pour l’ambiance que m’offrent le lac et ses couleurs. Ce fut une belle journée !
Le 22 mai 2013, je suis retourné sur les lieux dans l’espoir de les voir. Super, ils sont toujours là, trois individus inséparables, toujours en mouvement et à la recherche de nourriture ! J’ai attendu la fin de la journée et le temps maussade ne pouvait que m’être favorable pour essayer de faire des images. Je décide de m’éloigner d’eux et, avec un équipement de camouflage, je m’installe sur un des îlots dans l’attente et l’espoir de les voir venir, croisons les doigts ! Le besoin de rechercher la difficulté fait partie de mes exigences photographiques. La météo est en soi un critère important. C’est rassurant en ce qui me concerne, je suis moins dérangé par ʺl’homo sapiensʺ quand la météo est mauvaise.
J’aime ces conditions climatiques difficiles, sinon le jeu serait trop facile. Faire des images en soirée avec ce temps gris, dans une ambiance sauvage me fascine. L’adrénaline monte, je suis à l’affût de tout mouvement dans l’espoir de les voir venir. Toujours aux aguets, il va falloir se transcender. La difficulté et cette ambiance m’apportent un grand plaisir.
Patience, à l’aide des jumelles je scrute les îlots. Les voilà, ils arrivent, il m’a fallu attendre près d’une bonne heure avant leur venue. La concentration est à son comble. Quelques clichés comme pour se chauffer les muscles des doigts. Ensuite ce sont des mouvements lents et sporadiques pour éviter de les stresser. Établir une confiance, me sentir admis par ces volatiles me procure un bien fou. C’est le moment où je choisis de faire les images quand je sens que l’oiseau vient vers moi en toute décontraction. Ce soir-là, il m’est arrivé de me retrouver le cul dans l’eau malgré mes cuissardes. Le sanderling venait tellement près que j’ai dû arrêter de faire les clichés pour les contempler. Du pur bonheur ! L’impression d’être seul au monde. Je suis resté près d’une bonne heure avec eux et, dès qu’ils se sont éloignés de moi, c’est le moment que j’ai choisi pour partir sans les effrayer.
Le 12 octobre 2013, je suis allé voir des limicoles sur la plage d’Excenevex, des bécasseaux variables.
Le bécasseau variables (Calidris alpina) est un limicole de petite taille (longueur 16-22 cm, envergure 35-40 cm, poids 40-50 grammes) de la famille des scolopacidés.
L’adulte arrive en juillet-août, il se reconnaît à son ventre noir, son dos brun-roux, une poitrine blanche, rayée. Le juvénile est plus tardif (août-octobre), avec un plumage variable, des taches sombres se regroupent au niveau du ventre, le dos brun-foncé est liséré de blanc à brun-roux.
Nicheur de la toundra Arctique, de la Scandinavie et de la partie nord des Ȋles Britanniques, il passe l’hiver dans la partie sud des Ȋles Britanniques, sur l'ensemble du littoral ouest-européen (Méditerranée comprise) et le nord de l’Afrique. Il se nourrit d’invertébrés (vers, mollusques, crustacés, insectes) sur le bord du lac. Le bec est noir de taille moyenne et légèrement arqué, il picore, sonde rapidement le sol à la recherche de nourriture. Il peut être observé sur les rives du Léman au printemps comme à l’automne au moment de la migration.
Le 12 octobre 2013, le besoin de prendre l’air se fait sentir et de faire un tour au bord du lac. Les conditions climatiques ne sont pas fameuses mais j’ai dans l’espoir de voir une ou deux espèces malgré le temps. Arrivé sur la plage d’Excenevex en début d’après-midi, voilà que la pluie se met à tomber. Pas le choix, il faut mettre le poncho de randonnée pour protéger le matériel. A l’aide des jumelles je scrute la plage. Super, trois individus se déplacent sous cette pluie fine. Des bécasseaux variables dont le plumage est différent pour chacun. Pour la prise de vues je peux vous dire que je ne suis pas dérangé, vu le temps. Accroupi à une distance de deux à trois mètres au bord de l’eau, j’ai patienté près de deux heures trente pour obtenir des belles images. Le matériel a bien supporté les conditions climatiques.
Le plus drôle, c’est le va-et-vient devant moi, ils se déplacent toujours aussi rapidement à la recherche de nourriture. C’est du pur bonheur de les voir si près avec des gouttes d’eau sur le plumage. Inquiets au début, ils gardent la distance, puis ils ne semblent pas impressionnés par ma présence. Ils s’en accommodent et, parfois, ils prennent le temps comme s’ils posaient pour moi. Les images dans la boîte, je décide de les quitter.
Pas mécontent du spectacle que m’a offert la nature. Il faut reconnaître que la prise de vue nécessite de la concentration et de l’énergie. Bien content de rentrer à la maison, au chaud et au sec.